Que cachent nos sensations de «déjà vu» ?

Je suis déjà venu ici, j’ai déjà vécu ce moment, j’ai déjà vu cette personne… Nous avons tous connu cette étrange sensation. Jeu de la mémoire, de l’inconscient ou de nos émotions : comment expliquer ces impressions passagères ? Par Sylvain Michelet (Psychologies, avril 2008)

Un souvenir refoulé

Freud lui-même ne résiste pas à cet appel, et trouve au déjà vu une place dans sa grille de lecture. Mais ce n’est rien d’autre à ses yeux que la remontée incomplète d’un souvenir refoulé, cachant un traumatisme ou un désir inacceptable pour le Surmoi. « En ce qui concerne les quelques rares et rapides sensations de déjà vu que j’ai éprouvées moi-même, ajoute Freud, (…) il s’agissait chaque fois du réveil de conceptions et de projets imaginaires (inconnus et inconscients) qui correspondait, chez moi, au désir d’obtenir une amélioration de ma situation. » (3)

Comme le rêve, le déjà vu serait une expression de nos désirs secrets ? « C’est la raison de son « inquiétante étrangeté », estime la psychanalyste Nelly Jolivet : cette confrontation entre familiarité et surprise signale que l’on touche à de l’interdit. »

(3) Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, ch 12 (Payot, 1975)

Pourquoi sommes-nous entourés de cons ?

Qui n’a pas, quotidiennement, l’occasion de dire – sinon de penser très fort – «Quel con !» ? À les entendre, certains ne semblent même fréquenter que des imbéciles… Mais que dit-on vraiment quand on traite l’autre ainsi ? Par Anne-Laure Gannac (Psychologies, février 2008)

Embouteillages. Soudain, un coupé rouge nous fait une queue-de-poisson et poursuit sa route en se faufilant entre les voitures: «Le con !» La réaction est instinctive.

«Quand on juge autrui, ce n’est pas tant de lui que l’on parle que de soi, affirme la psychanalyste Nelly Jolivet. «Quel con !» signifie: Moi, si j’avais été à sa place, j’aurais agi différemment». Je n’aurais pas doublé tout le monde, je n’aurais pas renversé le vase, je n’aurais pas fait cette réflexion… Le «con» vient heurter notre conscience morale. Si nous nous interdisons de faire des queues-de-poisson, celui qui ose met à l’épreuve nos censures intérieures et, du coup, notre désir inconscient de désobéir aux règles de la morale. D’où l’insulte, comme pour dire: «Il fait ce que je ne veux pas faire parce que cela me culpabiliserait…» Mais qu’elle jouissance ce doit être de passer sous le nez de tout le monde !»

Qui est le «con» ?

Du latin cunnus, «vulve», le «con» désigne à l’origine le sexe féminin… C’est au XIXe siècle que le terme devient insulte, pour désigner les individus jugés passifs et impuissants… tel un sexe de femme! Quand on traite autrui de con, c’est donc qu’«on le dit-femme, on le diffame», pour citer Jacques Lacan (dans «Le Séminaire, Livre XX, Encore» (1972-1973), Ed. du Seuil).

Je pleure pour un rien

Une sensibilité à fleur de peau, un débordement d’émotions, des larmes qui montent trop vite pour pouvoir être retenues… D’où vient cette hyperémotivité ? Et comment faire pour qu’elle ne soit pas un handicap ? Par Olivia Benhamou (Psychologies, janvier 2008)

(…) Selon la psychanalyste Nelly Jolivet, «cette réactivité émotionelle ramène à la petite enfance. C’est la manifestation d’un défaut dans la formation de notre réalité psychique, insuffisament stabilisée». Pour construire sa propre identité, le bébé a besoin à la fois d’être consolé lorsqu’il souffre et d’être inité et d’être inité à la frustration pour faire l’expérience de sa capacité à satisfaire ses propres besoins. «S’il est surprotégé ou si, au contraire, il éprouve une carence affective, le bébé grandira dans la dépendance, incapable de se construire comme un individu autonome et de mettre des mots sur ses propres émotions. C’est ce qui explique que, à l’age adulte, certains d’entre nous continuent de pleurer; parce qu’ils sont incapables de verbaliser leur ressenti.»

Que faire ?

(…) «Apprenez à verbaliser l’émotion, cela aide à la canaliser. Si vous avez le sentiment de ne plus être crédible aux yeux des autres, d’être infantilisé et dévalorisé par vos larmes, il faut essayer de prendre un peu de distance par rapport à l’émotion, en mettant des mots sur ce qui est étouffé par les pleurs. Cela vous aidera à comprendre ce qui vous touche et pourquoi cela vous touche à ce point. Si vous n’y arrivez pas seul, l’aide d’un thérapeute peut se révéler précieuse.»

Le psy : une relation particulière

Intenses et changeants, les liens que nous tissons avec notre thérapeute sont uniques en leur genre. Éclairage. Par Laurence Lemoine (Psychologies, novembre 2006)

Le transfert : une rencontre sur la scène de l’inconscient

(…) Côté psy, l’alchimie opère de la même manière sur un ressenti très subjectif. « Mon choix de travailler avec un patient, indique Nelly Jolivet, psychanalyste et psychothérapeute, procède de ma conviction de pouvoir répondre à sa souffrance particulière, pour des raisons qui ne tiennent pas seulement à ma formation, mais aussi aux raisons intimes pour lesquelles je fais ce métier. Quelque chose entre en résonance, dans ce qu’il est et ce que je suis, qui va permettre l’amorce d’une relation thérapeutique. » Cette résonance au-delà des mots, sur la scène de l’inconscient, Freud en a rendu compte en élaborant les concepts de « transfert » et de « contre-transfert ». « Le transfert, explique la psychanalyste, c’est ce processus par lequel, sans s’en rendre compte, le patient me met à la place des différentes personnes qui ont compté dans son histoire. Il revit alors avec moi des émotions du passé et, par contrecoup, me fait éprouver un certain nombre d’affects qui constituent mon contre-transfert. » Inévitable, ce phénomène est justement ce qui permet à la cure de progresser, « à condition que le psy ne soit pas dupe des sentiments dont il est le support et qu’il permette au patient de s’appuyer sur le transfert pour progresser ».

Le cadre : un retour au réel

(…) Le cadre, et en particulier le fait de payer ses séances, « est absolument indispensable pour éviter toute confusion quant à la nature de la relation qui se noue, assure Nelly Jolivet. Le psy n’est pas un substitut parental, même s’il peut être mis à cette place dans le transfert. Il n’est pas un ami, même s’il peut tout entendre, y compris des choses que les amis eux-mêmes ne sauront jamais ». Loin d’être un directeur de conscience ou un pourvoyeur de conseils, il apporte avant tout l’écoute attentive et le soutien dont nous avons parfois besoin pour accéder à notre propre vérité et devenir pleinement acteur de notre vie.

La fin : une relation éphémère

Dès lors, la relation thérapeutique est vouée à cesser. Et en cela encore, elle est à nulle autre pareille. « Dans son aboutissement, elle se sèvre d’elle-même lorsque le patient devient capable de voler de ses propres ailes ; et le psy de lui donner du champ sans en être angoissé », indique Nelly Jolivet.

Mon rêve au banc d’essai

Nos désirs cachés apparaissent-ils vraiment dans nos rêves ? Notre journaliste a soumis un même songe à trois thérapeutes d’écoles différentes. Sous leurs regards se dévoilent les multiples sens cachés d’un même scénario. Par Laurence Lemoine (Psychologies, juin 2006)

Première séquence. Je suis dans une cave en pierre, une belle cave voûtée à l’éclairage chaleureux. Toute l’équipe de Psychologies est réunie pour un stage de développement personnel. L’animatrice nous invite à nous déplacer dans la pièce et à nous arrêter « là où nous nous heurtons ». J’avance vers la sortie de la cave. Je me heurte à mon patron. Je comprends que cette collision me désigne comme le sujet de l’expérience qui va suivre. Je me retrouve allongée sur une table. Mes collègues sont rassemblés autour de moi. L’animatrice, telle une guérisseuse, passe sa main au-dessus de mon corps. Au moment où elle survole mon ventre, mon ovaire frémit. Je pense : « Pourvu que personne ne le remarque. »

Deuxième séquence. Je suis dans une cave en pierre, cette fois sombre, humide. Je me vois devant moi. J’ai les traits de Kate, un personnage de la série télévisée Lost. J’avance vers moi, le long d’un couloir bordé de portes. Je dis : « I was a bad person », et je sais qu’en ouvrant la porte devant laquelle je m’arrête, cette affirmation va se vérifier. A ce moment, je suis ballottée comme sur une monture au galop. On me lance un gros sac, qui se divise en trois. J’en pose un devant moi, sur l’encolure de mon cheval, un autre derrière, je ne sais pas quoi faire du troisième. A force d’être secouée, je suis projetée dans les airs.

Troisième séquence. Je vole au-dessus d’une terre dévastée. Il fait nuit. Je vole très haut dans le ciel. J’ai terriblement peur. Je gémis. Loin en dessous, je vois des collines mutilées par la guerre, des ruines encore fumantes. Je ne veux plus avoir peur, je veux reprendre le contrôle de mon vol, de mon rêve, retrouver des terres et des visages amis. J’essaie de plonger vers le sol.

Quatrième séquence. Je suis dans une pièce gaie et accueillante. Je pense : « Je suis chez nous. » Les murs sont décorés de photos de famille. Ma mère apparaît sur ma droite, elle porte un cadeau. Elle le donne à « la petite » qui surgit à gauche d’une pièce attenante. « La petite » ouvre le paquet et découvre la layette tricotée par ma mère. Je m’extasie sur la beauté du cadeau et m’exclame : « Je suis jalouse ! » Mais j’accepte l’idée que « c’est son tour à présent ». Fin du rêve.

Rêve éveillé :
Je décrypte mes déplacements

Mardi matin. Je rencontre Nelly Jolivet pour une séance de rêve éveillé. Elle m’explique : « Robert Desoille, le fondateur de la méthode, a découvert que les images motrices du rêve – de bas en haut, de gauche à droite, d’avant en arrière… – disaient quelque chose des mouvements de l’inconscient. » Je reprends les séquences de mon rêve en prêtant attention à mes déplacements.

Première scène, j’essaie de sortir de la cave, je me « heurte » à mon patron, puis je m’allonge… « Manifestement, j’essaie de me dérober à la mission qui m’est confiée – parler de moi dans un article – mais je me soumets à la hiérarchie », dis-je, pas fière de moi.

Deuxième séquence : « C’est bizarre, ici je me dédouble. Je suis à la fois celle qui regarde la scène et celle qui, sous les traits de Kate, avance vers moi. » Nelly émet une hypothèse : « Vous êtes face à vous-même, comme devant un miroir. Ce passage parle peut-être de vous sous le regard des autres et sous votre propre jugement : allez-vous révéler ce qui, croyez-vous, fait de vous une bad person ? ».

Troisième séquence, je m’envole. Nelly m’interroge : « Décrivez-moi votre vol. Que ressentez-vous ? » « J’ai été propulsée. Je n’ai pas le contrôle de ce vol et j’ai peur. » Je m’interroge : peur qu’on me vole ? Possible. Nelly dit : « Vous pouvez reprendre les commandes. » J’interprète : je ne suis pas obligée de tout raconter. Je me sens rassurée.

Quatrième séquence. Je décris : « Celle que j’appelle “la petite” surgit de la gauche. Mais moi, j’ai une grande sœur. A droite, ma mère lui tend un cadeau. » Nelly m’explique : « Il est fréquent que la gauche, dans un rêve, représente le passé, tandis que la droite figure l’avenir. Repensez à cette porte que Kate va ouvrir sur le côté droit du couloir. Elle prend une décision, se met face au lendemain. Ici, il me semble que vous êtes la petite et la mère. Ce rêve vous autorise le passage de l’un à l’autre. » L’interprétation me parle.

La force de l’abandon

Importée d’Inde à la fin des années 1970, en plein essor aujourd’hui, la notion de lâcher-prise va à l’encontre de nos diktats de performance. Mieux la comprendre, c’est aborder chaque moment de la vie avec davantage de souplesse. Par Pascale Senk (Psychologies, février 2005)

Renoncer à la toute-puissance

Pour la psychanalyse – qui, dans sa théorie, ignore ce terme et parle plutôt de renoncement –, lâcher prise n’est d’ailleurs pas accessible à tout le monde. « Celui qui n’a pas un espace interne suffisamment construit, explique Nelly Jolivet, psychanalyste, celui qui, pour des raisons liées à son enfance, à ce qu’il a vécu au stade archaïque, lorsqu’il était bébé, n’arrive jamais à être suffisamment rassuré pour renoncer à sa volonté de toute-puissance, celui-là y aura difficilement accès. »

Bonne nouvelle cependant : dans la cure analytique, de petits lâcher-prise réguliers peuvent mener à une certaine transformation de la personnalité. « C’est, de séance en séance, la levée chez le patient de certaines résistances, la dissolution d’une trop grande rigidité… Cela grâce à la confiance gagnée peu à peu dans le lien entre analyste et analysant, et qui rejaillit dans le quotidien de ce dernier », poursuit la psychanalyste.

Des petits renoncements actifs, des mini-abandons proposés aussi dans des techniques psychocorporelles et qui aident à construire davantage de confiance en soi pour se préparer aussi aux plus grands lâcher-prise que nous enseigne la vie : l’orgasme, la gestation et la naissance qui nous traversent le corps, le deuil de ceux que nous aimons, notre propre mort… Combien de sauts dans le vide !

Hommes-Femmes

Avons-nous sacrifié nos différences au nom de l’égalité entre les sexes ? Aujourd’hui, hommes et femmes découvrent que, pour mieux vivre ensemble, chacun doit réaffirmer sa propre identité. Par Pascale Senk (Psychologies, novembre 2001)

(…) Nelly Jolivet, une psychologue de 42 ans qui a été initiée dans un groupe de femmes du Midwest, aux Etats-Unis (5), explique : « A ce moment de ma vie, les rôles étaient un peu chamboulés dans notre couple : c’était moi qui ramenais l’argent au foyer, tandis que mon compagnon s’occupait de notre fils… Tout à coup, j’ai ressenti un intense besoin de me reconnecter à quelque chose d’intemporel et de sacré, qui était passé de ma grand-mère maternelle à ma mère, puis à moi. Je voulais aller à l’essence féminine… Le groupe m’a aidée en cela. »

(5) Woman Within : transitionseurope.com